samedi 20 août 2011

Précaire, vous avez dit précaire?

Parce que mon niveau d'exaspération est anormalement bas, parce que la brise matinale réduit ma production de frustration à son minimum et que je n'ai pas envie de regarder Monsters VS Aliens pour la Xe (je ne sais pas compter jusque-là) fois quasi consécutive (quand mon fils aime, il aime d'amour), je vais compléter un billet que j'avais écris jeudi passé, le 18 août, mais que mon ordinateur a mangé. L'excuse classique. Alors voilà.

---

J'espère que vous saurez me pardonner, chers lecteurs, pour ce manque flagrant de bonne conduite blogurienne. J'ai dû m'absenter de l'écran pendant quelques jours, question de profiter des vacances familiales comme il se doit, c'est-à-dire loin de l'ordinateur et de toutes ses tentations diaboliques. Mais bon, c'est Satan qui va être content, je suis de retour pour un p'tit bout.
Mes vacances furent très agréables, merci. Nous sommes allés voir si le soleil brillait plus fort à Niagara Falls (et c'est le cas, à quantité de néons pis de p'tites lumières qui flashent là-bas, le soleil peut ben aller se rhabiller) et nous avons reçu la bella familia dans notre antre pour la deuxième portion de ce temps d'arrêt. Justement, c'est le coeur gros, mais la tête pleine de beaux souvenirs que nous leur avons souhaité un bon retour dans le Royaume du bleuet, ce matin.

Mais bon, trève d'épanchements émotifs, même si indirectement, c'est le sujet de mon billet de ce matin. En fait, je voulais vous entretenir d'un sujet où l'émotivité est reine, le stress sultan et la panique, impératrice.

Les non-inités y verront un passage obligé, mais somme toute banal, vers la toute-divine permanence fonctionnariale. Certains s'en réjouiront même, se frottant les mains comme ils le font souvent en observant le spectacle de fonctionnaires davidiens se démenant devant l'étatique Goliath. Ben quoi? Ce n'est pas ce que devraient faire tous ceux profitant des largesses (hum. hum.) de l'État? Traverser le Rubicon avant d'obtenir le droit à un minimum de stabilité, de sécurité et de prévisibilité? Ça se mérite un fond de pension môsieur. Parce que c'est moi qui paie ton salaire, môsieur. Mais bon, je m'égare.


Plusieurs, les inités, auront compris que je parle de la séance d'octroi des postes aux enseignants à statut précaire. Précaire comme dans: une permanence? dans tes rêves! Précaire comme dans:
Un « emploi précaire » ou un « travail précaire » désigne un emploi qui présente trop peu de garanties d’obtenir ou onserver dans un avenir proche un niveau de vie « acceptable », et qui engendre un profond sentiment d'incertitude sur l'avenir, un sentiment de précarité.
D'après Wikipedia. C'est cette définition qui illustre le mieux l'ambiance qui règne autour de moi aujourd'hui. "Un profond sentiment d'incertitude sur l'avenir ..." C'est exactement ça.

Dieu merci, Allah est grand, Bouddha est bien gras, je suis assez ancienne pour que cette situation m'affecte à un niveau moindre. Je serai demain matin la troisième à choisir mon poste, sur près d'une dizaine de postes intéressants (à plus de 80% de tâche) disponibles. Mais tout de même, nombreux sont ceux (nous sommes près d'une trentaine sur la liste de priorité des précaires) qui, moins anciens, doivent jongler avec l'idée de devoir choisir une tâche ingrate, alors qu'ils n'en sont qu'à quelques années d'expérience. Le genre de tâche à te rendre fou un prof permanent transpirant l'expérience et le savoir-faire. Et ça c'est ceux qui auront la "chance" de choisir une tâche, parce que la plupart repartiront bredouilles.

D'autres auront des tâches fragmentées et devront se faire spécialistes de plus de matières qu'il n'y a de période dans une journée. Et devront se séparer en autant de locaux. Ça donne des situations tellement aberrantes, parfois ...



- Tu dois compléter ta tâche? demande la direction, avide de trouver preneur pour ses miettes.

- Oui, j'ose espérer un 100%, j'suis capotée dans tête hein? répond l'enseignant, avide de se bourrer la face dans les miettes.

- Non, non, c'est parfait! Justement, il me reste de l'éthique et de l'adapt.

- Ah! Alors en plus de mes deux niveaux en univers social, où je devrai également enseigner deux matières (histoire et géo) je choisis les groupes d'éthique. Cinq préparations différentes, y'a rien là, je dors juste trois heures par nuit anyway.

- Euh ... on s'est mal compris. Ce n'est pas un choix. Tu complèteras ta tâche avec de l'éthique ET de l'adapt. Tu devras, tel Superman dans sa cabine, te transformer à la hâte entre deux battements. Et tel Arnold dans ses belles années, tu devras porter à bouts de bras le poids de tes choix. Ou plutôt de tes non-choix.

- ...

- Ouais, c'est ça, t'as pas le choix.

D'autres encore devront affronter des coupures budgétaires draconiennes car la seule tâche qu'ils auront eu la "chance" de saisir, en est une à 60, 70% parfois moins. 60% de ton salaire durant un an de temps, alors que tu as une hypothèque à payer et des enfants à habiller, c'est un sport extrême.

Remarquez, je suis tout à fait consciente que la situation est la même dans plusieurs corps d'emploi. L'accès à la permanence est un chemin de croix dans plusieurs professions et les enseignants ne sont pas les Aurores de la stabilité professionnelle. Ce qui m'enrage, en fait, (j'y arrive enfin) ce sont tous ces articles traitant du manque d'enseignants au Québec, allant même jusqu'à parler de "pénurie" et à recruter des enseignants à l'étranger.
"Selon la ministre, les accords de mobilité de la main-d'oeuvre intervenus avec les autres provinces canadiennes et l'entente conclue avec la France représentent un «atout» qui permettra d'attirer de nouveaux enseignants."
Du même souffle, la ministre met de l'avant une des principales raisons de cette soi-disant pénurie ...

"Mme Beauchamp reconnaît toutefois que le recrutement d'étudiants et la rétention des nouveaux enseignants ont «toujours été un enjeu» et que des efforts restent à faire."


Vous connaissez probablement cette sombre statistique: un enseignant sur trois quittera la profession dans les cinq premières années. Un sur trois. Un dude sur trois se dit, après quatre ans d'université à se démener pour suivre une formation insipide et complètement déconnectée (mais tout de même complétée), que malgré tout, la meilleure option demeure d'abandonner. Se réorienter. Recommencer ailleurs, autre chose. Du début. À zéro.

Donc, il y a pénurie. Plein de collègues auront de la difficulté à trouver un emploi, demain, et ce, malgré les nombreux autres collègues qui se poussent en courant (et tous ceux qui se poussent en silence, dépressifs). Mais il y a pénurie. La Commission scolaire distribue ses permanences au compte-goutte, que dis-je, avec une parcimonie et une frugalité bien radine. Et il y a pénurie. Demain matin, plusieurs collègues retourneront chez eux bredouilles, sans emploi en main, se demandant pourquoi la société ne cesse de vanter les avantages du fonctionnariat. Pourquoi la ministre de l'éducation parle de pénurie. Si pénurie il y a, elle n'est pas à Laval. Parce que ce que je verrai à Laval demain, ce sont des enseignants anxieux, stressés et angoissés à l'idée d'avoir un diplôme à accrocher au mur mais pas d'emploi pour acheter le cadre qui permettra de l'accrocher.

Sources:

http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/education/201105/10/01-4398130-penurie-denseignants-la-ministre-beauchamp-se-veut-rassurante.php

http://fr.wikipedia.org/wiki/Travail_pr%C3%A9caire

Pour l'image: http://www.collectif-papera.org/spip.php?article471

11 commentaires:

  1. C'est criant de vérité... Bravo pour ce magnifique billet!

    RépondreSupprimer
  2. La statistique est un enseignant sur cinq au cours des cinq premières années et non d'un sur trois.

    Quant à la pénurie d'enseignants, pour avoir déjà eu à me pencher sur cette question, elle existe seulement dans certains champs d'enseignement et dans certaines régions du Québec. Une matière comme l'anglais est très en demande actuellement tandis que maths, sciences, univers social sont des domaines où les postes sont généralement déjà comblés.

    Il est donc faux de croire qu'il y a une pénurie généralisée d'enseignants comme le disent souvent les universités et certains profs aux aspirants profs. À cet égard, ils protègent leur propre job en continuant à former et à mal informer de futurs chômeurs. Dans certains domaines de formation, il existe des contingentement pour éviter de tels surplus, mais pas en éducation. Pourquoi?

    Un dernier point, au risque de ne pas me faire aimer: quand j'ai commencé ma carrière, on retrouvait un poste pour vingt candidats. Il y avait du choix, de longues entrevues, des tests de sélection. Aujourd'hui, dans certains secteurs, on embauche le chauffeur d'autobus scolaire s'il est bilingue (ce n'est pas une blague). Si moins de candidats survivent aux premières années de carrière, il y a des facteurs comme la précarité d'emploi, bien sûr, les conditions de travail difficiles, mais peut-on aussi postuler que bien des candidats n'ont tout simplement pas ce qu'il faut pour enseigner? Ce taux de décrochage - qui est basé sur une seule étude en passant - est-il plus élevé que dans certains autres corps d'emploi comportant un même degré de stress?

    Bonne chance pour demain!

    RépondreSupprimer
  3. Prof masqué: Tout dabord, je dois dire que c'est un honneur de vous retrouver ici ce matin, puisque je vous lis depuis de nombreuses années. Pour ce qui est de la statistique sur les enseignants décrocheurs, en fait je prenais ces chiffres (un enseignant sur trois) pour acquis puisqu'ils émanaient d'une source de confiance, mais en fait je viens de découvrir que ce sont des données ontariennes:

    "Une étude canadienne (King et Peart, 1992) a démontré que 15 % des débutants quittent l’enseignement après seulement une année d'exercice quand la moyenne pour les autres professions est d'environ 6 % » (Martineau et al., 2009, p. 8). Plus récemment, un rapport publié en 2004 par l'Ordre des enseignants et des enseignantes de l'Ontario indiquait qu'un enseignant sur trois quitte la profession dans les cinq premières années d'exercice."

    http://www.formapex.com/telechargementpublic/bissonnette2010b

    Pour le reste, je ne peux qu'acquiescer. Merci pour les précisions!

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour Cath

    Comme je suis une enseignante à la retraite, je comprends ce que vous vivez parce que j'ai été mise en surplus à plusieurs reprises jusqu'à ce que j'atteigne 25 ans d'expérience. Quand même le stress ne pouvait être aussi important que le vôtre puisque j'avais toujours un poste au mois de juin et que j'avais l'été pour me préparer.

    En fait rien à voir avec votre situation où vous devez vous préparer à la hâte ; juste ça, c'est très anxiogène. La discipline dans un classe dépend en bonne partie de la préparation minutieuse du cours. Après cela on dira que des profs manquent de discipline. Des condition comme vous en avez expliquent les difficultés de certains à assurer le calme dans leurs groupes. Dormir trois heures par nuit pour assurer une bonne préparation est la seule issue. Quel cauchemar ! Bon courage Cath !

    Marie-Danielle

    RépondreSupprimer
  5. Évidemment qu'il n'y a de pénurie que dans les réserves autochtones et dans le Nunavik. Je ne prendrai pas la peine de chercher la statistique exacte, mais le temps moyen entre le diplôme et un poste permanent (ou est-ce simplement à temps plein?) est dans l'ordre des 5 à 6 ans, mais je ne suis pas sûr si ce temps moyen tient compte du taux d'abandon (i.e., parle-t-on uniquement de ceux qui ne changent pas de profession?). Ma blonde fait partie de cette statistique d'abandon, enfin presque parce qu'elle fait toujours occasionnellement de la suppléance (mais les écoles vont d'abord piger chez les profs à la retraite, au lieu de prendre ceux qui n'ont pas encore même l'espoir d'avoir un revenu d'un caisse de retraite...).

    Entretemps, elle est une parmi de nombreux surqualifiés à avoir un contrat temporaire de fonctionnaire pour le fédéral, un autre système ou après de nombreux tests et évaluations, entrevues, et tout, ça prend au moins 2 ans pour juste entrer dans le système. Au moins, c'est à temps plein dans son cas, de 15h30 à 23h30... Et t'as pas le choix non plus parce que si tu veux pas cet horaire, il y a des centaines d'autres surqualifiés qui sont prêt à prendre ta place.

    RépondreSupprimer
  6. Cath: Vous me gênez.

    Le monde est petit... Je vous ajoute à ma liste de lecture sur mon blogue.

    RépondreSupprimer
  7. La tâche que vous décrivez dans votre blogue me fait un peur peur....C'EST LA MIENNE!....Sauf pour l'adapt. J'ai comme un sentiment mitigé en ce moment; je ressens la joie de ne pas à avoir à me battre pour mon salaire mais je ressens ausssi l'angoisse de toutes ces préparations ainsi que de garder un semblant de vie de couple avec mon conjoint, une vie de famille avec mon enfant, un environnement sain pour mes chiens, une maison propre et chaleureuse, un niveau d'exercice assez haut et des repas sains et nutritif.... Facile la vie moderne?

    RépondreSupprimer
  8. Votre blogue m'a fait du bien. Il y a un an, j'ai fini ma maitrise en littérature et me dirigeait vers l'enseignement collégial où la situation n'est pas plus rose, du moins en littérature. Après un an de tutorat sous-payé, tout ce que j'ai pu trouver, c'est 25% de charge à Lac-Mégantic ou une charge pleine à Gatineau, mais seulement à l'automne, aucune garantie pour l'hiver. Disons que de déménager de Montréal à Gatineau pour 4 mois n'est pas vraiment alléchant (si on me garantissait du temps partiel à l'hiver, je l'aurais fait). Le support de ma famille (à l'exception de ma conjointe) était inexistant, me répétant tous : "ils le disent tous les jours qu'il manque de prof, tu devrais pouvoir te trouver de quoi". Un peu comme si j'étais le problème.
    Après un an et ne sachant pas quand j'allais pouvoir recevoir un salaire quelconque, j'ai décidé de me réorienter comme bibliothécaire. La situation n'y est pas plus facile, mais, sans avoir suivi un seul cours dans le domaine, on m'a offert un poste à temps partiel, mais PERMANENT, le temps de compléter mon cours dans le domaine. Je vais faire moins d'argent, mais, au moins, je suis sûr d'en faire.

    RépondreSupprimer
  9. mmmm, pénurie en anglais, professeur masqué? Je suis enseignante d'anglais au secondaire et venant d'une région où il existe une supposé pénurie (la saguenay-lac-st-jean) je dois avouer que ma collation des grades se sont tous ou presque trouvé un emploi mais que presque aucun d'entre nous ne travaille à temps plein. Bien sur, il y mes amies qui sont reparties dans leur côtes-nord natale et qui enseigne à temps plein depuis la graduation, mais ce ne sont que des exceptions. Et puis il y mon ami enseignant au primaire, qui travaille à temps, qui et 2eme sur la liste de priorité, mais qui doit se taper 5 écoles primaires disséminés sur un territoire d'environ 100 km2, tout ça sans qu'on pait son essence ou même une cotisation pour l'usure de l'auto... Alors, pénurie ou pas, je trouve que c'est cher payé pour comblé la pénurie..

    RépondreSupprimer
  10. Je peux vous assurer que, dans la couronne nord de Montréal, il y a des postes qui vont à des enseignants non qualifiés. Il faut savoir quand, dans certains coins, il y a une baisse du nombre d'élèves.

    RépondreSupprimer
  11. J'étais à Laval vendredi dernier et étant pas loin d'être dernière sur la liste au primaire, on a vu de bien drôles de choses...

    Du travail, il y en a, mais on (pas moi!) veut choisir, on veut notre niveau préféré, on ne veut pas de portions de tâche, on veut notre école, etc.

    De ma cohorte 2009, on a presque toutes eu notre premier choix parce que des précaires plus anciens ont passé leur tour en espérant mieux que ce qui restait!

    RépondreSupprimer