Bien que je fusse située dans un quartier relativement
homogène -à plusieurs niveaux- de Laval, je peux dire que j’en ai vu de toutes
les couleurs durant cette journée. Heureusement, c’est ce qui colore ce texte
me direz-vous! Cependant, comme chacun sait, après l’arc-en-ciel, le gros
paquet de nuages gris …
J’en ai vu passer des bozos en ce 7 avril. Toute du bon
monde. Un seul, un barbu ventru et bourru, a été brusque pas mal, en vociférant
un « Anyway, je les ai déjà perdues mes élections, fait que pour ce que ça
vaut! » tout en enfonçant son bulletin de vote dans l’urne avec l’énergie
du désespoir, le cœur gros et la tête lourde. Madame D. s’est offusquée - avec retenue,
évidemment - qu’un tel rustre ose nous brusquer ainsi, « Quel malotru!
Quel goujat! » M’a-t-elle répété à maintes reprises tout au long de l’après-midi.
Moi j’aurais aimé le prendre dans mes bras et lu frotter le dos, en lui faisant
des tututututuuut. Je le comprenais tellement.
Et puis la journée a suivi son cours. J’en ai rencontré des
drôles, des gênés, des pressés, des charmeurs, des insouciants, des résignés,
des snobs, des excités, des exaspérés … mais toute du bon monde. J’étais
tellement fière de la mobilisation, près de 85% des gens sur ma liste étaient
venus voter! Je me suis dit qu’ils ne
pouvaient pas tous voter du bon bord, mais qu’ils ne pouvaient pas tous non
plus voter du mauvais bord. Avec une lutte à quatre partis sérieux et à un
je-serai-un-jour-un-grand-parti, ce n’est pas le choix qui manque. D’ailleurs,
lorsqu’est venu le temps de dépouiller les votes, la lutte était très chaude.
Un vote pour un, un autre pour l’autre, et presque autant pour le 3e.
Un peu moins pour le 4e parti. Pis le 5e? Ben lui, y’a eu
juste quatre votes, autant que le nombre de votes annulés. Mais bon, 4 votes x
1,50$, ça fait 6$ dans les poches du parti! Humm. Passons.
Vingt heures est finalement arrivé et avec lui le moment d’éventrer
l’urne pour en décortiquer les entrailles. Pendant que j’additionnais les X sur
les bulletins, un beat de film de suspense tournait en boucle dans ma tête et me
restera en mémoire comme la bande sonore de mon lundi soir aux élections. Lorsque le compte fut bon, mon cœur s’emballa alors
je constatais que ma candidate, ma Bonnemine, figure emblématique parmi d’autres
de la nation d’irréductibles que nous sommes, menait la course. Elle n’avait pas
l’avance confortable la mimine, mais elle menait. De six gros votes sur le
jeunot du collège. De dix sur monsieur j’augmenterai-promis-promis-les-salaires-des-profs-mais-finalement-dis-huit-mois-plus-tard-je-n’en
n’ai-plus-les-moyens. Et de quarante-quelques sur l’équitable pointe de tarte. Une belle répartition, à l’image du Québec et
de sa diversité. J’avais vraiment le cœur joyeux. Le système a des ratés, mais
il marche! Regardez! Un gouvernement minoritaire, où tous les partis sont bien
représentés et par le fait même où tous les citoyens pourront d’une façon ou d’une
autre y trouver leur compte. Moyennant évidemment un peu de bonne volonté
politique, mais ça c’est une autre histoire.
Et puis le couperet est tombé, décapitant du fait même mes
espoirs les plus fous pour ce peuple que j’aime d’amour et que j’enseigne à qui
veut bien écouter. En allant porter l’urne engrossée de tous les formulaires
dûment remplis, doublement signés et quadruplement scellés, j’ai demandé à la
responsable du scrutin, le sourire niais rempli d’attentes, si elle avait une
idée des résultats. À voir son sourire s’effacer, j’ai compris que je devais
prendre mes jambes à mon cou et courir, courir, courir sans jamais me
retourner. Pour une raison qui m’échappe, je suis demeurée là à la regarder m’annoncer,
penaude telle une enfant que l’on punit, que Pierre Bruneau avait prédit un gouvernement
Libéral majoritaire. Je me rappelle l’avoir remerciée et m’être rapidement
dirigée vers l’extérieur… pas question que l’on me voie pleurer, ce n’est qu’une
élection. Ce n’est que quatre ans. Ce n’est qu’un gouvernement. Ce n’est que …
mais pourquoi ne puis-je pas m’arrêter de pleurer? Je dois être fatiguée. Je vais
aller me coucher en arrivant. Pour ça il faudrait que j’y arrive, je ne vois
rien, j’ai les yeux plein d’eau. Mon chum m’attend sur le pas de la porte, il m’a
entendue arriver et sait que je serai démolie. Si je me connaissais aussi bien
que lui me connait, je n’aurais pas demandé les résultats avant de partir de l’église.
Et je serais montée me coucher. Mais comme mon comportement est souvent une
série de « what the?» aux yeux de mon raisonnement, j’ai ouvert mon
ordinateur et je suis allée voir ce qu’en pensait Facebook. Erreur. Non
seulement la plupart de mes amis étaient consternés, ils étaient atterrés. Rien pour me remonter le
moral. Ne pas réélire le PQ c’est une chose, il a un peu couru après. Mais élire,
d’une importante majorité dois-je le rappeler, les Libéraux dont nous savons
tous qu’ils sont corrompus jusqu’à la moelle? Pourquoi pas la CAQ? Ou Québec
solidaire? Même Option nationale est un choix éclairé comparativement à toutes
ces personnes que l’on voit défiler devant madame la juge, l’air repenti mais
les doigts croisés dans le dos.
Les fils se sont
touchés, je me suis dit qu’au lieu d’insulter personnellement tous ceux qui se
vantaient d’avoir gagné leurs élections, (mais dont la jouissance réelle était
de voir la première ministre sortante perdre le pouvoir) mieux valait faire un
appel à tous générique : tu as voté Libéral, (lire : tu as voté
contre le français, contre la dette, pour la corruption et le
multiculturalisme, contre les programmes sociaux et la culture, pour la
toute-puissante entreprise privée et la collusion, tu as voté pour Sam Hamad et
Gaétan Barette, tu as voté contre la Commission Charbonneau et pour la signature
de la constitution canadienne, tu as voté pour Gilles Vaillancourt et Tony
Accurso… ok, on arrête là, ma pression monte.) Bref, tu as voté Libéral, alors
tu mérites mon mépris. Je l’ai regretté après. Je me suis rappelée que des
amies très proches prévoyaient voter Libéral et que je les avais sûrement
blessées. Je me suis rappelée que c’est par l’éducation que l’on change les
mentalités et non pas par l’arrogance et la hargne. Je me suis rappelée que mon
beau grand pays, il va falloir que je l’explique aux autres, pour qu’ils
cessent d’en avoir peur. Qu’il va falloir que je leur montre d’où l’on vient, d’où
cette soif de liberté et d’indépendance est issue et ce qu’a traversé le Québec
depuis bientôt 500 ans pour en arriver là. Surtout, surtout, il va falloir que
je me rappelle que ma nation a déjà affronté des périls bien pires que quatre années
de mauvais gouvernement.
Et qu'à vaincre sans péril on triomphe sans gloire.