Oui monsieur, moi, j'ai allaité. Mon premier, pis mon deuxième bébé. Aaaaahhh pas longtemps par contre. Ça ne se compte même pas en année. Mais j'ai allaité, oui! oui! De mon sein maternel a jaillit une quantité substancielle d'or blanc.
Tu savais pas? T'es sûr? Pourtant ...
Tu n'as pas vu mes quelques 78 statuts Facebook sur le sujet? Tu sais, ceux où je te tenais informé jour après jour de l'alimentation parfaitement équilibrée et naturellement saine que je prodigue à mon bébé en l'allaitant? Je suis si heureuse que Zuckerberg me permette maintenant de montrer à tous le scintillant bonheur qui m'anime lorsque je rempli mon bébé de lait. Tu n'as pas non plus vu ma photo de profil, où je partage avec la planète l'extase émouvante d'une communion sacrée entre une mère et son fils? Arrête. J'suis sûre que tu l'as vue, on y voyait même mon autre toton qui faisait des tatas. Non? Ah bon.
Tu ne m'as pas vue, sur ton fil Facebook, en train d'allaiter, totons à l'air et gerçures au frais, pendant que je portais mon garçon dans un sling en coton bio? C'était juste après la photo où j'allaitais dans la piscine et avant celle où on voit bébé couché sur le torse nu de mon chum, la bouche grande ouverte comme s'il lui sucottait le mamelon! Haha! C'est sûr que tu l'as vue celle-là! Trop drôle. ... Non? T'es certain?
Tu ne savais pas que j'avais même été allaiter dans une rassemblement de mamans qui allaitent lors du dernier congrès des mères allaitantes associées et enregistrées? On en a fait un vidéo qui a été vu des milliers de fois sur YouTube. La tivi était là, tout le gros it. Ils ont tout filmé, partout y'avait plein de bébés qui se bourraient la face goulûment, leur p'tit nez enfoui dans nos gros lolos! Allaiter c'est bien, mais allaiter toutes ensembles sur une p'tite chaise carrée ben alignées devant un stage dans un sous-sol d'église, c'est magique! Faut vraiment que tu voies ça.
Dans ce cas, tu as sûrement entendu parler au moins une fois, au détour d'une conversation ou peut-être même aux nouvelles, du fait que j'ai allaité? Ce que veux dire, c'est que ça intéresse tout le monde de savoir que j'ai donné le sein, alors je me fais un devoir de répendre la Bonne Nouvelle. C'est d'ailleurs le mandat que je me suis donnée en partageant mon expérience laiteuse avec tous mes proches. Et avec les voisins et un coup parti, tout le quartier. De toute façon, tel est mon droit, après tout. J'ai donné la vie, môa.
Ça ne te dit vraiment rien? Dans ce cas, tu dois sûrement être au courant que j'ai courru 37 km en 10 minutes non? Pourtant ... je m'efforce d'en informer tout Facebook aux deux, trois jours maximum.
Ça intéresse tout le monde, tout le monde sait ça.
jeudi 10 juillet 2014
lundi 5 mai 2014
On lira quand on sera mort.
L’autre jour, à la friperie
locale, il y avait une vente de livres usagés et je m’en suis procuré un, qui
est en fait un classique dans ma profession, Émile ou De l’édu…
-
« Étienne, lâche l’écran du portable, tu
vas le briser. »
… cation, écrit par Jean-Jacques …
-
« Guillaume bâtard, c’est quoi l’idée de
licher mon écran? Tu te demandais vraiment ce que ça pouvait goûter?! »
… Rousseau. Non seulement c’est
un livre que j’aurais dû lire à l’université, mais je devrais même être en
mesure de pouvoir en réciter des extraits, question d’impressionner mon
directeur et d’embêter mes a…
-
« Ben oui Guillaume, c’est très drôle un
gant sur ton pied. ÉTIENNE! Arrête de faire tes dents sur la table du salon!»
…mis. Mais non, même s’il s’agit
là d’une œuvre magistrale, je n’ai jamais lu le bouquin de Rousseau. En fait je
n’ai même jamais lu un de ses écrits. On m’en a déjà exposé les idées
générales, j’ai même déjà fait des travaux sur sa vision de l’éducation, mais
je n’avais jamais lu l’œuvre intégrale. Alors je me suis procuré l’ouvrage de
poche pour probablement le même montant qu’on dû le payer les lecteurs de l’époque,
si ce n’était de l’inflation.
Ce n’est qu’une fois arrivée à la
maison que j’ai réalisé quel geste inconscient je venais de faire.
-
« Ben oui mon bébé, maman va lâcher l’ordinateur
et aller te faire à dîner. Donne-moi deux secondes, j’arrive au punch là. »
J’avais acheté un livre. Comme lorsque j’étais jeune, insouciante et ...
-
« Guillaume arrête de pleurer, Étienne n’a
pas pu te mordre SI fort, c’est juste qu’il a faim là… »
… libre. Libre de mon temps,
libre de mes gestes, libre de penser. J’avais
le temps, jadis, de me verser une coupe de vin, de m’asseoir dans mon fauteuil
préféré et de me perdre dans une avalanche de mots. Maintenant, quand j’attrape
au vol un cinq minutes de plénitude, j’engouffre mon vin, préalablement versé
dans un verre de plastique, question que …
-
« Et le tournoi de baseball dans la maison,
c’est l’idée de qui? »
… vous aurez compris. Lorsque, mon
gobelet de super-héros plein à ras bord de vin dans la main, je fais preuve de
ruse pour éloigner l’ennemi (de 5 ans à peine, mais aux âmes bien nées …) de
mon précieux fauteuil, c’est plutôt sous une avalanche de jouets et de trucs
gluants non-identifiés que je me retrouve.
Et c’est ainsi qu’Émile ira rejoindre Astérix chez les Pictes que je n’ai même pas encore ouvert et L’Ombre du vent, que j’avais eu la
chance d’entamer, alors que je passais une nuit dans ce tout-inclus à l’occasion
de la naissance de mon deuxième gobeur de temps. Il ira ajouter de la hauteur à
cette tour de livres que j’aurais dévorée dans ma vie d’avant, mais dont je ne
peux qu’humer la délicate odeur de papier fraîchement imprimé dans celle-ci.
jeudi 10 avril 2014
La journée avait pourtant bien commencé ... (suite et fin)
Bien que je fusse située dans un quartier relativement
homogène -à plusieurs niveaux- de Laval, je peux dire que j’en ai vu de toutes
les couleurs durant cette journée. Heureusement, c’est ce qui colore ce texte
me direz-vous! Cependant, comme chacun sait, après l’arc-en-ciel, le gros
paquet de nuages gris …
J’en ai vu passer des bozos en ce 7 avril. Toute du bon
monde. Un seul, un barbu ventru et bourru, a été brusque pas mal, en vociférant
un « Anyway, je les ai déjà perdues mes élections, fait que pour ce que ça
vaut! » tout en enfonçant son bulletin de vote dans l’urne avec l’énergie
du désespoir, le cœur gros et la tête lourde. Madame D. s’est offusquée - avec retenue,
évidemment - qu’un tel rustre ose nous brusquer ainsi, « Quel malotru!
Quel goujat! » M’a-t-elle répété à maintes reprises tout au long de l’après-midi.
Moi j’aurais aimé le prendre dans mes bras et lu frotter le dos, en lui faisant
des tututututuuut. Je le comprenais tellement.
Et puis la journée a suivi son cours. J’en ai rencontré des
drôles, des gênés, des pressés, des charmeurs, des insouciants, des résignés,
des snobs, des excités, des exaspérés … mais toute du bon monde. J’étais
tellement fière de la mobilisation, près de 85% des gens sur ma liste étaient
venus voter! Je me suis dit qu’ils ne
pouvaient pas tous voter du bon bord, mais qu’ils ne pouvaient pas tous non
plus voter du mauvais bord. Avec une lutte à quatre partis sérieux et à un
je-serai-un-jour-un-grand-parti, ce n’est pas le choix qui manque. D’ailleurs,
lorsqu’est venu le temps de dépouiller les votes, la lutte était très chaude.
Un vote pour un, un autre pour l’autre, et presque autant pour le 3e.
Un peu moins pour le 4e parti. Pis le 5e? Ben lui, y’a eu
juste quatre votes, autant que le nombre de votes annulés. Mais bon, 4 votes x
1,50$, ça fait 6$ dans les poches du parti! Humm. Passons.
Vingt heures est finalement arrivé et avec lui le moment d’éventrer
l’urne pour en décortiquer les entrailles. Pendant que j’additionnais les X sur
les bulletins, un beat de film de suspense tournait en boucle dans ma tête et me
restera en mémoire comme la bande sonore de mon lundi soir aux élections. Lorsque le compte fut bon, mon cœur s’emballa alors
je constatais que ma candidate, ma Bonnemine, figure emblématique parmi d’autres
de la nation d’irréductibles que nous sommes, menait la course. Elle n’avait pas
l’avance confortable la mimine, mais elle menait. De six gros votes sur le
jeunot du collège. De dix sur monsieur j’augmenterai-promis-promis-les-salaires-des-profs-mais-finalement-dis-huit-mois-plus-tard-je-n’en
n’ai-plus-les-moyens. Et de quarante-quelques sur l’équitable pointe de tarte. Une belle répartition, à l’image du Québec et
de sa diversité. J’avais vraiment le cœur joyeux. Le système a des ratés, mais
il marche! Regardez! Un gouvernement minoritaire, où tous les partis sont bien
représentés et par le fait même où tous les citoyens pourront d’une façon ou d’une
autre y trouver leur compte. Moyennant évidemment un peu de bonne volonté
politique, mais ça c’est une autre histoire.
Et puis le couperet est tombé, décapitant du fait même mes
espoirs les plus fous pour ce peuple que j’aime d’amour et que j’enseigne à qui
veut bien écouter. En allant porter l’urne engrossée de tous les formulaires
dûment remplis, doublement signés et quadruplement scellés, j’ai demandé à la
responsable du scrutin, le sourire niais rempli d’attentes, si elle avait une
idée des résultats. À voir son sourire s’effacer, j’ai compris que je devais
prendre mes jambes à mon cou et courir, courir, courir sans jamais me
retourner. Pour une raison qui m’échappe, je suis demeurée là à la regarder m’annoncer,
penaude telle une enfant que l’on punit, que Pierre Bruneau avait prédit un gouvernement
Libéral majoritaire. Je me rappelle l’avoir remerciée et m’être rapidement
dirigée vers l’extérieur… pas question que l’on me voie pleurer, ce n’est qu’une
élection. Ce n’est que quatre ans. Ce n’est qu’un gouvernement. Ce n’est que …
mais pourquoi ne puis-je pas m’arrêter de pleurer? Je dois être fatiguée. Je vais
aller me coucher en arrivant. Pour ça il faudrait que j’y arrive, je ne vois
rien, j’ai les yeux plein d’eau. Mon chum m’attend sur le pas de la porte, il m’a
entendue arriver et sait que je serai démolie. Si je me connaissais aussi bien
que lui me connait, je n’aurais pas demandé les résultats avant de partir de l’église.
Et je serais montée me coucher. Mais comme mon comportement est souvent une
série de « what the?» aux yeux de mon raisonnement, j’ai ouvert mon
ordinateur et je suis allée voir ce qu’en pensait Facebook. Erreur. Non
seulement la plupart de mes amis étaient consternés, ils étaient atterrés. Rien pour me remonter le
moral. Ne pas réélire le PQ c’est une chose, il a un peu couru après. Mais élire,
d’une importante majorité dois-je le rappeler, les Libéraux dont nous savons
tous qu’ils sont corrompus jusqu’à la moelle? Pourquoi pas la CAQ? Ou Québec
solidaire? Même Option nationale est un choix éclairé comparativement à toutes
ces personnes que l’on voit défiler devant madame la juge, l’air repenti mais
les doigts croisés dans le dos.
Les fils se sont
touchés, je me suis dit qu’au lieu d’insulter personnellement tous ceux qui se
vantaient d’avoir gagné leurs élections, (mais dont la jouissance réelle était
de voir la première ministre sortante perdre le pouvoir) mieux valait faire un
appel à tous générique : tu as voté Libéral, (lire : tu as voté
contre le français, contre la dette, pour la corruption et le
multiculturalisme, contre les programmes sociaux et la culture, pour la
toute-puissante entreprise privée et la collusion, tu as voté pour Sam Hamad et
Gaétan Barette, tu as voté contre la Commission Charbonneau et pour la signature
de la constitution canadienne, tu as voté pour Gilles Vaillancourt et Tony
Accurso… ok, on arrête là, ma pression monte.) Bref, tu as voté Libéral, alors
tu mérites mon mépris. Je l’ai regretté après. Je me suis rappelée que des
amies très proches prévoyaient voter Libéral et que je les avais sûrement
blessées. Je me suis rappelée que c’est par l’éducation que l’on change les
mentalités et non pas par l’arrogance et la hargne. Je me suis rappelée que mon
beau grand pays, il va falloir que je l’explique aux autres, pour qu’ils
cessent d’en avoir peur. Qu’il va falloir que je leur montre d’où l’on vient, d’où
cette soif de liberté et d’indépendance est issue et ce qu’a traversé le Québec
depuis bientôt 500 ans pour en arriver là. Surtout, surtout, il va falloir que
je me rappelle que ma nation a déjà affronté des périls bien pires que quatre années
de mauvais gouvernement.
Et qu'à vaincre sans péril on triomphe sans gloire.
mercredi 9 avril 2014
La journée avait pourtant bien commencé ... (2 de 3)
Monsieur Mo nous a parlé un peu de son Maroc natal, que ses
parents avaient immigré ici principalement pour offrir à son frère et lui une
meilleure éducation, mais que dès qu’il en aurait la chance, il retournerait
là-bas. Ses parents y possèdent encore un appartement que la famille occupe
tous les étés, à 15 minutes de l’océan. Ça m’a fait penser à mon père qui
aimerait tellement qu’après son décès, j’utilise son bungalow du fin fond de l’Ontario
rurale comme chalet. «Yien que vingt minutes de becycle pis t’arrives à un
beau p’tit marais où tu peux pêcher du brochet long d’même! ». Ouiiii
papa.
Je vous raconte ça et on a eu l’air d’avoir jasé toute la
journée, mais détrompez-vous. Nous nous sommes démenés pour permettre à la plèbe
d’exercer son droit le plus fondamental. Dès l’ouverture, il y avait foule. On
faisait la file pour choisir qui sera le prochain à représenter notre petite
circonscription lavalloise. Allait-on reconduire le mandat octroyé à la députée
péquiste sortante? Fort sympathique d’ailleurs, la dame. Plus petite que sur sa
photo de pancarte, quoique perchée moins haute, elle me faisait penser à
Bonnemine, mais teinte en brun. Elle, tout comme le jeunot du parti Libéral,
sont venus serrer des mains. Ce dernier a dit en voyant la canette de thé glacé
format gros cochon de monsieur Mo « Haha! Très bon choix, moi aussi j’en
ai bu en masse au collège». On en apprend beaucoup sur les gens selon qu’ils utilisent
le terme collège ou CÉGEP.
Madame D. elle, n’aurait jamais osé boire son 10 litres de
thé glacé à la table, elle a dû me répéter 23 fois que ça la gênait tellement
de manger son sandwich devant le monde. Elle enviait mon sandwich sur pain
baguette et m’a avoué qu’elle avait choisi de faire le sien avec du pain tranché
parce que ça s’avalait plus vite. En fait, elle a fait ça tellement vite que je
ne me rappelle pas l’avoir vue mâcher. Elle m’en a avoué pas mal des affaires
cette journée-là. Entre autres que sa voisine d’en face, celle qui est là-bas
et qui s’en va voter à l’autre table, ben elle l’a invitée à son mariage et elle
la considère comme sa deuxième mère … « mais comprends-tu, je ne la connais
presque pas! Que veux-tu que j’aille faire là ma foi du Bon Dieu? ». Elle
m’a aussi avoué que son sac à lunch, c’était sa belle-sœur qui lui avait prêté
et que ça n’avait toujours ben pas de bon sens de faire des sacs à lunch aussi
roses. Une vraie belle petite madame.
J’ai été gâtée en p’tite
madame ce jour-là … il y a d’abord eu ma plus vieille. Née en avril 1929. Je lui
ai dit, avec mon sourire des dimanches ensoleillés, que c’était notre électrice
la plus âgée de la liste! Dans un rictus, elle m’a craché au visage qu’elle n’en
avait rien à foutre et que j’avais intérêt à lui sacrer patience, qu’on en
finisse. En fait son dentier était trop
grand, je n’ai rien compris, mais c’est ce que j’en ai déduit. Il y a ensuite eu notre Asiatique, si fraîchement
arrivée que je n’étais pas sûre qu’elle l’ait réalisé encore. Son mari nous a
demandé s’il pouvait voter pour elle. Nous
lui avons répondu non. Il nous a demandé s’il pouvait aller avec elle derrière
l’isoloir pour lui montrer pour qui voter. Nous lui avons répondu non. Il a
compté les candidats, il lui a dit de voter pour le troisième. Elle est allée
derrière l’isoloir. Elle est revenue et a eu l’air de lui demander, « À partir d’en bas ou à partir d’en haut? ». C’est à ce moment que je me suis
pris la tête entre les mains et que j’ai pleuré. Elle est allée derrière l’isoloir et est
revenue. Elle nous a montré son vote pour nous demander si c’était le bon
candidat qu’elle avait choisi. Madame D. m’a regardée, je l’ai regardée, monsieur
Mo a pris une gorgée de thé glacé, nous rêvions tous d’être ailleurs. J’ai eu
une pensée pour Guy Nantel. J’ai expliqué à la dame, en anglais of course,
que le vote devait être secret. Elle a souri de honte, j’ai souri de rage, son
mari a souri de gêne, elle a déchiré son vote au mauvais endroit, il a fallu
tout recommencer. Shit.
À suivre ...
mardi 8 avril 2014
La journée avait pourtant bien commencé ...
J'avais bien dormi, étrangement. Je dis étrangement parce que d'habitude, avant un évènement stressogène je dors mal. Je me réveille tout le temps, je regarde le cadran, le coeur serré d'avoir cru passer tout droit. Là, j'avais bien dormi. Je me suis même réveillée dix minutes avant que ne résonne l'alarme, heureuse de pouvoir regarder s'égrainer les secondes avant de m'extirper de la moiteur de mes draps. Je me suis ensuite levée, ravitaillée, douchée, habillée et préparée le sourire aux lèvres. Il y avait même du Coldplay qui jouait dans la salle de bain pendant mes ablutions, c'était définitivement un début de journée de grand champion.
Cette journée-là, je travaillais. Une p'tite jobine, on the side, pour le gouvernement. Après 9 mois d'une maternité épanouissante mais accaparante, me rendre utile moyennant retribution m'apparaissait comme une heureuse occasion de gambader à travers le vaste monde, child-free. Somme toute, il ne semblait n'y avoir que du positif à cette expérience dont l'hypothèse de départ était: "Si une journée commence bien, il n'y a aucune raison pour que les élections du soir même ne finissent mal". Oh que j'avais tout faux. Mais poursuivons plutôt sur notre lancée optimiste. Comme je le disais, cette journée-là, je travaillais aux élections. Je travaillais pour ce DGE qui, quelques semaines plus tôt, avait rassuré la populace: il n'y a rien d'étrange à ce qu'un Ontarien qui ne désire pas s'intégrer ici au point d'apprendre le français tienne tout de même à participer à la vie politique. Ils adorent la politique québécoise les Ontariens, c'est bien connu. De vrais mordus.
Bref, j'étais une des trois zoufs qui vous accueille lorsque vous venez voter. Celle du milieu, pour être exacte. Ma tâche consistait principalement à cocher d'un petit crochet le nom de ceux qui étaient venus remplir leur devoir de citoyen. J'avais d'autres fonctions aussi, mais aucune occasion de les mettre en oeuvre ne s'est présentée. Je pouvais, par exemple, faire prêter serment à quelqu'un qui, d'après les petits crochets sur ma feuille, avait déjà voté par anticipation. S'il me jurait que ce n'était pas lui, qu'il devait y avoir erreur, que cette journée-là il était chez sa soeur à Sherbrooke et que jamais au grand jamais il n'oserait frauder le système, je pouvais le faire voter. Mais ça ne m'est pas arrivé.
Donc je me suis présentée ce matin-là, à l'immense église évangélique du coin. Tellement immense, que nous étions dans le gymnase de l'église. T'imagines? Un gymnase dans une église. J'étais pas loin du panier de basket. Pis après on se demande pourquoi les églises catholiques se vident... avez-vous déjà joué au basket entre deux professions de foi vous? Moi j'ai déjà ronflé, rêvassé et somnolé, mais joué au basket? Jamais. Alors ce n'est pas loin du panier de basket que j'ai rencontré madame D. Elle m'attendait, elle venait tout juste d'arriver et avait commencé à ouvrir l'urne pour la vider de ses innombrables enveloppes, scellés et formulaires, dont le précieux A-38. Je me suis présentée, elle était contente de me voir. Ravie serait plus juste. La personne que je remplaçais (on m'a appelée à la dernière minute) avait un nom imprononçable et je crois que ça la rendait anxieuse. Elle était toute délicate, une vraie belle petite madame. Elle ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait, elle avait été inscrite par quelqu'un (mais qui, diantre?) et on l'avait appelée. Elle avait accepté et suggéré que l'on engage également monsieur. Alors ils étaient là, tous les deux, pour un gros douze heures d'immersion électorale. Peu de temps après, s'est présenté monsieur Mo. D'origine maghrébine, étudiant à Momo, lui il savait qui l'avait inscrit. C'était maman. Il étudiait en sciences humaines, voulait se rendre à l'université en droit mais devait passer avant par quelques cours en tant qu'étudiant libre pour augmenter sa cote Z. ou R. Je n'ai pas trop suivi. Il a dû faire un "what's up?" à la demie-heure à des "bros" qui étaient venus voter. Il était sympathique, monsieur Mo, apparemment il avait un grand cercle d'amis. Lui sa job c'était de marquer le numéro des électeurs qui venaient voter sur une liste et de transmettre cette liste aux différents partis politiques. T'sais quand ton parti t'achale le jour de l'élection pour te rappeler d'aller voter? Ben c'est en partie à cause de monsieur Mo. Il n'était pas jasant monsieur Mo. Alors la toute douce madame D, dont on se rappelle qu'elle n'aime pas trop ceux qui ont des noms à consonnance exotique, s'est occupée de lui faire la conversation, passionnée qu'elle était de comprendre ce que les femmes voilées pouvaient bien trouver d'agréable à se couvrir ainsi. La journée s'annonçait épique.
... à suivre.
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